L’autisme au Cameroun

Article : L’autisme au Cameroun
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5 juillet 2023

L’autisme au Cameroun

Dans la société camerounaise, les clichés sur l’autisme sont monnaie courante. Les autistes sont souvent perçus comme des individus surdoués ou isolés du monde. Pourtant, une rencontre inattendue a profondément bouleversé ma vision de cette condition : celle de Jules, le frère de Viviane, une amie de longue date.

Lorsque j’étais écolière, à chaque fois que je me rendais chez Viviane pour faire nos devoirs, j’étais transportée dans un monde à part, loin des bancs de l’école et des manuels scolaires. Ce qui rendait ces moments encore plus spéciaux, c’était la présence de Jules, le frère de Viviane, qui était atteint d’autisme.

Dès que je franchissais le seuil de leur maison, une atmosphère unique m’enveloppait. Jules était souvent assis sur sa chaise préférée, comme s’il occupait son propre royaume secret. Son regard était fixé sur un point invisible pour nous, mais qui semblait renfermer un univers parallèle fascinant. Sa concentration était inébranlable. Il semblait déconnecté du monde qui nous entourait.

C: Pixabay

Cette scène éveillait en moi une multitude de questions. Quelles difficultés Jules devait-il affronter au quotidien ? Quelles étaient les raisons de son isolement apparent ? Et surtout, que pouvait-il bien ressentir au plus profond de lui, dans cet univers mystérieux auquel nous n’avions pas accès ? Ces interrogations me poursuivaient jour après jour, année après année, alimentant ma curiosité grandissante et mon désir ardent de comprendre ce qui se passait dans l’esprit de Jules.

Ces moments partagés chez Viviane étaient bien plus que de simples séances de devoirs. Ils étaient empreints de respect, de fascination et d’une quête de sens. Chaque interaction avec Jules était une occasion d’apprendre et de s’ouvrir à une réalité différente de la nôtre. J’ai rangé petit à petit mes mes préjugés au placard.

Comprendre pour mieux appréhender

Je dois admettre que j’ai moi-même été longtemps victime de nombreux clichés dans ma perception de l’autisme. J’imaginais les personnes autistes comme des individus surdoués ou totalement repliés sur eux-mêmes, sans réaliser toute la diversité de leurs expériences.

Il y a trois mois, j’ai eu l’occasion de participer à un atelier d’imprégnation sur l’autisme à Yaoundé. Cette expérience a été une révélation pour moi, car j’ai pu comprendre que l’autisme est bien plus complexe et nuancé que je ne l’avais imaginé. Il ne s’agit pas d’une superpuissance extraordinaire ou d’un choix de s’isoler du monde, mais plutôt d’un trouble profondément ancré qui affecte la communication et les interactions sociales.

Lors de cet atelier, j’ai pris conscience de l’importance de l’intelligence émotionnelle dans la compréhension et l’accompagnement des personnes autistes. J’ai appris que les émotions jouaient un rôle essentiel dans leur expérience du monde, et que développer cette intelligence émotionnelle était essentiel pour favoriser leur épanouissement et leur intégration sociale.

La réalité de l’autisme au Cameroun

D’après le ministère de la Santé publique, près de 3000 enfants naissent autistes chaque année au Cameroun. La maladie est mal connue. Le diagnostic est difficile à poser car les spécialistes manquent. Et les laboratoires camerounais ne font pas d’examens génétiques, ni sur eux ni sur leurs enfants. Mais, en cas de litige avec la mère de leurs enfants, certains papas font des examens génétiques pour s’assurer de leur paternité. Ou bien en cas de grave maladie…

L’autisme est une maladie qui se manifeste par un trouble du comportement. Elle touche plus de garçons que de filles. Selon la génétique, les filles sont à l’abri que les garçons car une fois quelles sont touchées, les séquelles sont beaucoup plus grave chez les garçons. Et c’est généralement vers l’âge de deux ou trois ans que les parents commencent à constater que leur enfant est différent des autres.

À cet âge, les enfants peuvent déjà dire de petites phrases, appeler leurs parents, prendre un objet ou venir lorsqu’on les appelle. Très souvent, les parents constatent que le langage ne se développe pas bien chez leur enfant. L’enfant ne s’exprime pas et n’exécute pas les consignes simples.

Lilly Wonkam, orthophoniste

Explique l’orthophoniste Lilly Wonkam, précisant qu’il s’agit là juste des signes les plus fréquents mais non exhaustifs. Généralement perçue comme de la sorcellerie, certains mariages se détruisent au constat de cette maladie.

J’ai été chassée de mon foyer. Ma belle-famille a estimé que mon fils autiste est sorcier et que c’est moi qui lui ai transmis cette sorcellerie.

Yvette N., mère d’un enfant autiste

Témoigne par exemple Yvette N., mère d’un enfant autiste. Et pas que, d’autres familles pensent que l’enfant autiste est possédé par des démons et se réfugient plutôt dans des églises.

J’ai erré chez les médecins spécialistes et aucun n’a pu me dire avec exactitude de quoi souffrait l’enfant. J’ai été chez les marabouts. J’ai rencontré les prêtres exorcistes, nous avons fait des dizaines de séances de désenvoûtement sans succès.

Yvette N., Mère d’enfant autiste

C’est pourquoi, je pense toujours le manque de sensibilisation à cette maladie est un grand frein.

Sensibilisation et plaidoyer

Je crois vraiment que la sensibilisation reste un pilier important pour tirer la sonnette d’alarme. Surtout que la prise en charge de ces enfants autistes est lourde. L’État devrait accompagner les associations (la maison bleue de Julien…) dans leurs actions de sensibilisation et d’encadrement afin de faciliter la tâche aux proches de ces petits êtres.

La maison bleue de Julien est une association qui milite à accompagner l’Etat dans l’encadrement des enfants autistes tout en favorisant leur insertion dans la société. Mère d’enfant autiste au nom de Julien, c’est en 2019 que JEANNE KIBOUM décidé de créer la maison bleue de Julien. En l’honneur de son fils, elle décide de mettre sur pied cette association pour développer le maximum un savoir et mieux vivre pour ces bouts de chou. L’accompagnement n’est donc qu’un processus.

L’État doit également fournir du matériel éducatif pas trouvable au Cameroun mais possible avec beaucoup d’efforts, créer des écoles pour former les éducateurs spécialisés afin de rendre l’éducation plus inclusive.

Puisqu’on naît autiste et on meurt autiste. Incurable, l’enfant autiste n’est pas conscient de la différence, il n’est pas conscient de sa différence. C’est la raison majeure pour laquelle nous devons nous adapter à la personne autiste et non le contraire. Nous devons l’accompagner dans son processus de socialisation et d’intégration. Pour cela donc, l’Etat doit préparer l’environnement à la différence en prenant cette cause par la fondation (les éducateurs) plutôt que par la toiture (les parents). Cela passe nécessairement par la préparation de l’environnement qui doit accueillir ces enfants, c’est-à-dire, à défaut de former des éducateurs spécialisés pour une l’éducation inclusive, il doit s’assurer de bien former les éducateurs »normaux » afin que tout enseignant soit capable de tenir dans sa salle de classe des enfants « normaux » et ceux ayant un handicap.

D’ailleurs, il n’y a même pas d’écoles publiques spécialisées pour ce type d’enfants. Deux écoles privées existent la première est le centre Ela, à Yaoundé la capitale politique, et l’autre école est à Douala, la capitale économique du Cameroun. Pour toutes ces raisons, les enfants autistes ne sont généralement pas scolarisés.

Mon message d’espoir

Aux jeux olympiques spéciaux qui se déroulent en ce moment à Berlin, en Allemagne, Ndogndje Lamina Najma Louisette a remporté haut la main la médaille d’or du 100m dames.

Notre athlète, autiste, s’est ainsi démarquée, selon nos confrères de Allez les lionnes. Tu te rends compte ? Une Camerounaise a été à l’honneur à Berlin, en Allemagne. Et ce, aux Jeux mondiaux des personnes en situation de handicap mentale ou polyhandicapée, qui constituent le plus grand évènement multisport organisé en Allemagne depuis les Jeux olympiques de 1972 à Munich. C’est fabuleux et plein d’espoir. Apprendre cette nouvelle sur les réseaux sociaux m’a fait un énorme pincement au cœur.

C: Badal Fohmoh
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